Aït Atta du jbel Saghro

Les nomades rebelles du Sagho

          Originaires du Jbel Saghro, cet immense massif aux paysages lunaires entre les vallées du Drâa et duTafilalet, au sud du Haut Atlas, les Aït Atta appartiennent à la plus importante confédération de tribus du sud-marocain.

 

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  Son organisation tribale assez unique lui a permis de résister très longtemps aux conflits et aux assimilations. Préserver leur langue et le droit coutumier du pastoralisme semi-nomade, l’azref, était un enjeu vital pour ces tribus souvent dispersées sur un vaste territoire, elle a peut-être été aussi la plus fière et la plus rebelle à toute assimilation.
 
 

Des chênes verts de l'Atlas aux palmiers di Drâa Tafilalet

Le ‘’Kitab El Ansab’’, livre ancien du XIIème siècle relatant les généalogies des tribus berbères de l’époque attestait déjà de la présence des Aït Atta dans la vallée du Todra. Luis del Marmol Carvajal, chroniqueur espagnol du XVIème siècle, ayant vécu de nombreuses années dans les régions berbères du Maghreb, mentionne, lui, l’existence d’une province ‘’d’Ytata’’ dans sa ‘’Descipción generale de Africa’’ en 1571. Pour Ibn Kaldoun les Aït Atta appartiennent au groupe des Sanhadjas appelé aussi Zénagas nomades originaires du sud-ouest saharien.

 

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     Le pays Aït Atta est délimité par les oueds sahariens du Drâa à l’ouest et du Ziz à l’est. Entre ces deux cours d’eau, la frontière algérienne et le Sahara en définissent les contours au sud.
     Au nord, les massifs du Haut Atlas central, de la Zaouïa d’Ahansal dans le Haut Dadès jusqu’à Tinghir ; les versants nord du Sagho jusqu’à l’est d’Erfoud séparent leurs terres de celles de leurs ennemis Aït Yafelmane (1).
 
 

Un sanctuaire protégé

                              Le Jbel Sagho et ses oasis semi-montagnardes, Tazzarine, N’Kob, restent néanmoins leur sanctuaire et c’est par besoin de nouveaux pâturages que les Aït Atta ont entamé leur expansion vers le nord et les hauteurs de l’Atlas.

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     Si leur territoire, immense, s’étend à cheval sur cinq provinces du sud Maroc central : Azilal, Ouarzazate, Tinghir, Zagora et Er-Rachidia, c’est dans l’austérité du Sagho qu’ils ont choisi depuis longtemps leur capitale : Igherm Amazdar, petit douar situé à une vingtaine de kilomètres au sud de la ville de Tinghir, à côté du village d’Ouaklim.

     Dadda ‘Atta est l’ancêtre commun dont se réclament les Aït Atta bien que rien ne permette de retracer avec certitude des liens généalogiques avec ce personnage semi-légendaire :

     « De la vie de Dadda ?Atta on ne connaît que ce que rapportent quelques récits plus ou moins légendaires. Il serait originaire du Jbel Sarho et il est à peu près sûr qu’il périt lors d’un combat qu’il livrait contre les Arabes Ma’qil et qu’il fut enterré à Taqqat n’Ilektawen, défilé montagneux au sud de Tagunit, dans la haute vallée du Dadès. L’une des principales légendes de fondation des Ayt ?Atta est celle des 40 petits-fils de Dadda . 

Dadda ?Atta avait 40 fils qui se marièrent tous le même jour ; durant les festivités de la noce, un berger des Ayt Siddrat prit les fusils des époux et remplit d’eau leurs canons puis se rendit chez ses contribules, les invitant à attaquer les Ayt ?Atta. Les fils de Dadda ?Atta ne purent se défendre et furent tous massacrés. Mais comme ils avaient déjà passé deux nuits avec leurs épouses, le temps venu, les veuves mirent au monde 39 fils et une fille. Dadda ?Atta vécut assez longtemps pour assister à la vengeance de ses petits fils qui chassèrent les Ayt Siddrat jusqu’au Tizi n l’’Azz dans l’Atlas central.» (D. Hart, 1967)

Revu 2

     La volonté d’expansion des Aït Atta à partir du Sagho n’est pas dirigée uniquement vers le nord où leur progression est stoppé par les Aït Moghad qui vers 1645 avaient fondé avec les Aït Hdiddous la confédération Aït Yafelman.

     Au sud-est, vers le Tafilalet, leur progression fut stoppée à la fois par les Aït Yafelman et les chorfas(2) alaouites maîtres du pays bénéficiant du soutien du makhzen, 1893-94.

 

 

 

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     À l’est, ce sont les troupes françaises d’Algérie qui les bloquèrent à l’oasis de Touate (1899). Ils lutteront ensuite contre l’occupation française jusqu’en 1934, à la bataille de Bou Gafer.

     Quoiqu’ils se réclament d’un ancêtre commun à tous les Aït Atta, Dadda’Atta, ils ont absorbé depuis le XVIème siècle des populations d’ascendances diverses bien que majoritairement berbères au sein de leur confédération.

 

     Des tribus arabes berbèrisées, les Beni Mahmed, des harratins, noirs subsahariens, Ignaouen Aït Ahlim, voire des juifs islamisés, les Aït Bou Yacoub du clan Aït Yazza, les ont rejoint au fil des allégeances protectrices.
     Igherm Amazdar signifie le grenier d’en bas, et en effet, c’est au plus bas de la plaine d’un plateau du Sagho que se trouve le centre politique des Aït Atta.

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  C’est dans ce refuge quasi inviolable d’une vingtaine de kilomètres carrés appelé ‘’taftraoute n’Aït Atta’’ que sont conservés dans le village de Tiniourchane par les descendants de leur saint Moulay Abdallah, le drapeau de guerre des Aït Atta ainsi que le parchemin sur peau de dromadaire sur lequel était transcrit la division des Aït Atta en cinq khoms (cinquièmes).

 
 
 
 
 
 

Une organisation tribale particulière

     Igherm Amazdar est peuplée de familles issues de ces cinq clans : les Ait Ouallal, Ait Ouahlim, Ait Isfoul, Ait Y’azza et Ait Ounbgi qui se divisent eux-mêmes en ‘’ighess’’, mot signifiant, os, noyau.

 

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  Fragmentées et souvent dispersées, les tribus élisaient leur chef, l’amghar n-tamazight, au printemps. Aucun de ces chefs élus ne pouvant être en même temps dirigeant d’un khom.
  À tous les niveaux les choix étaient effectués sur une base de rotation annuelle et de complémentarité.
Jusqu’à la fin des années 1920, le Chef Suprême de la confédération, l’Amghar n’Oufella était élu ainsi pour un an parmi un des cinq clans, celui du postulant ne prenant pas part à l’élection.

  L’élection avait lieu au printemps dans le sanctuaire Aït Atta de ‘’ taftraoute n’Aït Atta ’’ en présence d’un Cherif, neutre, appartenant à la tribu de l’un de leurs deux saints hommes.

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  Les Aït Atta bénéficiant d’un droit coutumier complexe et très codifié, issu des traditions du pastoralisme nomade, c’est aussi là que siégeait leur cour suprême, l’istinaf.

 

        Un droit coutumier strict

Celle-ci était composée de six hommes devant connaître parfaitement le droit coutumier. Ils étaient choisis dans trois clans pour trancher les affaires ‘’judiciaires’’, les conflits liés aux pâturages, aux relations souvent conflictuelles avec les tribus voisines, les successions…

   Si le pouvoir de l’amghar n’oufella était relativement fragile au vu du morcellement territorial des tribus, le système de complémentarité et de rotation et la stricte observance du droit coutumier évitaient toute prise de domination abusive d’un clan sur les autres, voire d’un homme sur l’ensemble.

   De plus l’amghar n’oufella étant destituable à tout moment s’il manquait à ses devoirs, cependant, de hauts faits guerriers pouvaient le faire réélire deux ans à suivre.

 

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Assou ou Basslam, le charisme Aït Atta

  De son vrai nom, Issa Ou Ali N’Aït Baslam, celui que l’on appelait plus communément Assou Ou Baslam était l’Amghar, le grand chef charismatique de la puissante confédération des turbulentes tribus Aït Atta du Jbel Saghro dans l’Anti-Atlas oriental. Grande figure de la résistance berbère au Protectorat Français dans le sud-est marocain, l’historien français Henri Bordeaux le décrivait comme un «homme au beau visage grave, au corps maigre et musclé, impassible et indifférent d'apparence, mais fier et plein de dignité, et qui imposait la confiance. »
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 Né en 1890 à Taghya N’Ilmchane dans le Jbel Saghro, ce sont ces qualités qui le feront élire comme Amghar des tribus, à la succession de son père Ali Ou Basslam, tué lors d’une harka lancée par les hommes du Pacha de Marrakech. Intransigeant sur la préservation de la langue et de la culture amazighe, il rentrera tôt en rébellion pour conserver l’azref, le droit coutumier des Aït Atta que le Makhzen et le protectorat voulaient abroger. 1932, l’histoire s’accélère, à la mort de son père, suite à un raid du makhzen, faisant l’unanimité, Assou Ou Basslam est élu nouvel Amghar des Aït Atta, et entame une guerre ouverte avec les autorités du protectorat.

 

  Considéré comme un héros national, particulièrement dans le sud-est marocain, Assou Ou Bassalam fut nommé par Feue Sa Majesté Mohammed V, Caïd d’Ikniouin après l’indépendance du Maroc. Profitant peu de cette indépendance pour laquelle il combattit courageusement, il décédera en 1960 dans un Jbel Sagho libéré.

 

Des guerriers redoutés

Au début du XXème siècle, peu d’étrangers avaient traversé ces contrées encore inconnues de l’Atlas et peu fréquentées par les administrateurs du makhzen, le pouvoir central.
 

 

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     Du Tafilalet au Drâa, du nord Sahara aux défilés du Haut Atlas, nombreux sont ceux qui ont du les affronter. Aussi nombreux sont ceux qui parlent de leur bravoure au combat, car les Aît Atta à l’instar de leur ennemi Aït Yafelmane, ont toujours eu à cœur de défendre leurs pâturages, leur mode de vie nomade et leur droit coutumier.
     Profitant de la connaissance qu’ils avaient de la topographie de leurs terres, les farouches guerriers semi nomades Aït Atta repoussèrent plusieurs expéditions militaires dont une opération de pacification dirigée par le général Lyautey et son collaborateur pro-européen Thami el Glaoui en 1918 dans les gorges du Todra.

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     En 1919 rentrant en dissidence, avec l’aide des Aït Moghrad du Ferkla et des Aït Atta du Tafilalet, qui en avaient déjà chassé les occupants français et créent une petite province autonome, prirent Tinghir d’assaut et la pillèrent. La Kasbah du Glaoui à Tinghir est prise d’assaut par les forces Aït Atta en 1927. Bien établie depuis la création de son poste en 1928 à Ouarzazate, l’armée française intervient directement en 1931.
     
     Au nom de l’Islam, de l’amazighité et de leur liberté, les Aït Atta s’allièrent avec leurs ennemis Aït Moghad du Gheris pour combattre l’envahisseur français.
 
 

La bataille de Bou Gafer

 
     Connus pour avoir aussi totalement détruit la vieille cité marchande de Sijilmassa (3) en 1818, leur plus haut fait d’armes, reconnu dans tout le sud marocain, est la bataille de Bou Gafer en 1934. Peu à peu acculés, l’Amghar et ses alliés passeront dans le Sagho où ils finiront par capituler après une résistance farouche et malgré les encouragements des femmes à ne pas se rendre, après trois jours de bombardements intensifs de l’artillerie et de l’aviation françaises.

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Ce siège durera 42 jours, une dizaine d’officiers français périrent sur les pentes du Bou Gafer, dont Henri de Lespinasse de Bournazel, surnommé le diable rouge. Le bilan de cette bataille laissa bien des stratèges perplexes, montrant la valeur des combattants berbères. Malgré leurs faibles moyens, les résistants perdirent 1300 personnes, dont de nombreuses femmes et des enfants, alors que les pertes françaises s’élevèrent à 3500 soldats. Historique et mémorable, c’est ainsi que sera qualifiée la poignée de main entre ce grand résistant marocain et le général français Huré à Ikniouin, en plein cœur du Sagho, le 24 mars 1933 après d’âpres négociations.
 
 
 
Considéré comme un héros national, particulièrement dans le sud-est marocain, Assou Ou Bassalam fut nommé par Feue Sa Majesté Mohammed V, Caïd d’Ikniouin après l’indépendance du Maroc.
   Profitant peu de cette indépendance pour laquelle il combattit courageusement, il décédera en 1960 dans un Jbel Sagho libéré.

 
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Annotations
 

     1 Aït Yafelmane : Descendants des nomades Sanhadja, massivement installés dans le haut Atlas central et méridional sous la domination Almoravide au début du XIIème siècle, ils sont regroupés au sein d’une vaste confédération de tribus, les Aït Yafelmane, ‘’ceux qui veulent la paix’’, depuis le milieu du XVIIème siècle, notamment pour garantir leurs pâturages des incursions de leur ennemi héréditaire Aït Atta qui ne voyaient pas toujours d’un bon œil l’installation de nouvelles tribus dans leurs aires de transhumance. Les Aït Moghad et Aït Hdiddous en font partie.

     2 Cherif (sing) : Ce terme désigne un noble, un notable. Titre que porte avant tout un descendant du Prophète Mahomet par sa fille Fatima. Pour cela au Maroc on parle de royaume chérifien.

     3 Sijilmassa : ancienne ville commerçante fondée en 757 par les zénètes de la tribu Miknassa, peu de temps après la révolte berbère de 739-743 dirigée contre les gouverneurs arabes représentant les Omeyyades de Damas.

 

Date de dernière mise à jour : 16/07/2019

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