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Cap des Trois Fourches

Assis sur un rocher, rêveur, Hicham contemplait l’horizon.

 

Comme tous les jours, il avait mené son troupeau de chèvres paître sur les falaises du Cap des Trois fourches à quelques dizaines de mètres du phare qui domine cette immensité bleue et liquide qui le rendait craintif. La mer lui inspirait autant de respect que de peur. 

Du phare, un long et étroit escalier descendait abruptement vers la fine plage qui accueillait déjà quelques baigneurs matinaux.
 Il faisait beau, le soleil inondait le ciel ; à ses pieds, la Méditerranée déployait des eaux turquoise qui s’échouaient délicatement sur les rochers et le sable doré. Aujourd’hui du moins, car durant trois jours une tempête s’était déchaînée, comme si la mer avait voulu punir les hommes dans son courroux.

 

Autour de cette tour illuminée la nuit, quelques militaires qui ne surveillaient pas grand-chose sirotaient du thé tout en fumant et papotant. 
Ils attendaient patiemment que la relève arrive par la route qui grimpait jusque là, à travers un paysage dénudé sur lequel le troupeau d’Hicham avait de plus en plus de mal trouver de la nourriture. L’été avait été sec sur cette pointe du Rif échappée dans la mer et il faudrait plus de pluie que celles des derniers jours pour qu’une végétation automnale puisse pousser à nouveau sur ces roches calcaires. 

 

Il savait qu’à l’horizon, de l’autre côté de la mer, à la fois proche et lointaine, l’Europe étalait ses promesses de richesses. Lorsque certains de ses amis plus vieux que lui parlaient de partir, ils la décrivaient comme un paradis terrestre. Véritable pays de cocagne, si tu ne travaillais pas, on te donnait de l’argent. Même pour payer ton loyer ! L’hôpital et les médicaments gratuits ! Il paraît aussi qu’on donne même de l’argent aux parents pour que les enfants fassent des études ! Il y avait du travail partout pour qui voulait. 

 

La vie devait être belle, là-bas, de l’autre côté de la mer. Comme les femmes blondes et jolies qu’il apercevait en contrebas en train de s’égayer sur la petite plage de sable doré cernée de rochers. Elles lui faisaient peur d’ailleurs ces femmes à se baigner ainsi, si peu vêtues au milieu d’hommes. Les filles du village avaient plus de retenue et de respect pour leurs parents. Faut croire que là-bas, de l’autre côté de l’eau, vraiment rien n’était pareil.
L’Europe… il connaissait le terme sans savoir ce que cela représentait. Certains parlaient d’Italie… pour les bateaux. Un autre disait qu’à La France, il y avait ses cousins, d’autres encore parlaient d’Espagne, de Hollande…Il se mélangeait les pinceaux avec tout ces noms.
Il savait qu’il fallait prendre l’avion ou le bateau pour y arriver, que ce n’était pas loin, que c’était rapide. Des bateaux, avec ses chèvres ils en voyaient partir tous les jours. Il n’aimerait pas monter dessus en tout cas. Toute cette eau autour.

 

Lui, il n’était jamais parti de son village. Sauf une fois, avec sa mère, ils avaient visité un oncle à Beni Enzar, près de Mritch, la ville que les aroumis, les étrangers, appellent Melilla. Elle voulait qu’il fasse la traversée pour qu’il lui envoie de l’argent une fois qu’il travaillerait, mais l’oncle avait expliqué qu’il était trop jeune, il n’avait que treize ans. Que c’était trop dangereux. Et puis, il n’avait même pas une carte d’identité, pas besoin dans cet endroit désolé du Rif  battu par les vents méditerranéens.
« Souviens-toi de son père », avait rétorqué l’oncle à sa mère insistante, voulant le meilleur pour lui, qu’il ne vive pas comme elle dans la précarité et la pauvreté.

 

Son père. Il était parti, un jour, tenter sa chance loin, lui avait-on dit. Il n’était toujours pas revenu.
Sa mère lui avait dit que cette grande ville, c’était l’Espagne, déjà l’Europe. Décidement il n’y comprenait rien, tout se mélangeait dans sa jeune tête qui ne pouvait appréhender l’immensité du monde qui l’entourait.
Ils étaient nombreux à vouloir partir, des rêves plein les yeux, surtout des jeunes. Il y a quelques mois, à plusieurs centaines, ils avaient essayé de passer la frontière en force, un peu à l’écart de la ville. Ce double grillage de six mètres de hauteur rehaussé de barbelés et ponctué de miradors, quelques dizaines avaient réussir à l’escalader et le franchir. Mais la police avait tiré, il y avait eu des blessés et des morts, une dizaine.
Commençant à avoir faim, Hicham rassembla son petit troupeau pour  se diriger vers le phare afin de quémander un peu de pain et de thé aux militaires qu’il connaissait pour la plupart lorsqu’il vit ceux-ci s’agiter dans tous les sens et se courir vers l’escalier.

 

Abandonnant ses bêtes, Hicham se hâta pour voir ce qui se passait.
Sur la plage, des corps clandestins au milieu de débris d’embarcations s’échouaient pitoyablement au milieu des baigneurs apeurés qui fuyaient ces flots tout à coup devenus nauséabonds, leurs vacances gâchées par des exploiteurs de détresses humaines.

 

Les larmes aux yeux, Hicham pensa à son père. Pour qu’ils vivent mieux ici, lui aussi avait voulu partir là-bas, loin, de l’autre côté de la mer…

 

 Haïtam

Novembre 2017.

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Date de dernière mise à jour : 25/12/2019

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