Le marcheur
À trop se laisser porter par le destin
je marche dans les chaussures d’un mort
mon pantalon
je ne sais combien l’ont porté
tellement il est rapiécé
il est devenu trop grand
à moins moi que je n’ai trop maigri.
Je marche dans les chaussures d’un mort
le dentier
je n’ai pas osé
mais pour le reste de mes frusques
jantiya
quand il y a la baraka
s’tin rial
pourquoi s’en priver
les bons jours
jumaâ mubarak
après baraka.
Je marche dans les chaussures d’un mort
l’hiver la nuit tombe tôt
et le froid aussi
une fois, elles m’ont traîné
jusque sous le porche chaud d’un quartier rupin
ils m’on viré
c’était même pas le matin
ici, on ne veut pas de chien
ont-ils vociféré
j’aime pas les rupins
je préfère les pauvres et les prolos
eux savent partager
même leurs fringues délavées
et le reste d’un quignon de pain.
Je marche dans les chaussures d’un mort
le soir
dès les beaux jours
elles me portent sur la lande
loin en dehors de la ville
en bas l’océan
je m’en lasse pas
le va-et-vient des rouleaux
les jours de vents
je cours dans les embruns
en riant comme un fou
à trop suivre les chemins du destin
et quand le nuit tombe
je fais un feu
pour contempler les étoiles
puis j’allume mon sebsi
des volutes montent vers le ciel
juste pour y perdre mes rêves
j’aime cette odeur de kif
sa façon de m’investir
de calmer mes peurs
il y a longtemps que je le côtoie
des lustres à vrai dire
aimable et joyeux compagnon
j’aime qu’il me consume
une nuit de pleine lune
de celle où l’esprit s’évade
vers ces étoiles filantes
qui parfois illuminent le firmament
éphémères
comme les espoirs.
Je marche dans les chaussures d’un mort
pour la dernière fois
le dernier coucher de soleil
et la dernière lune
un soir d’automne
de trop
peut-être
une grande ligne blanche
dans un billet tout chiffonné
le chant d’une kora dans le lointain
flotte aux confins de mon esprit
il se sent libre
libre et léger
flottant comme une feuille dans la bise
vers un nouvel ailleurs
mes yeux se tournent vers l’océan
une ultime fois
à trop vouloir arpenter
les chemins du destin.
° annotations
Jantiya; marché de rue sur lequel se vend fringues achetés au kg, petit électroménager, etc..
S'tin rial: 60 rial, 3 dirhams. 1 dirham = 20 rial. Les berbères notamment comptent exclusivement en rial pour les achats quotidiens avant de passer aux centimes de dirhams pour des sommes plus importantes.
Jumaâ mubarak: bon vendredi, ce jour de grande prière étant de grandes promesses pour les gens qui demandent l'aumône, sadahka.
Sebsi: petite pipe marocaine pour fumer le kif.
Le marcheur
Haïtam
21 octobre 2019.
Photo d'illustration: Erwan Delon
Tous droits réservés.
Date de dernière mise à jour : 05/11/2019
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