Dihya et Izem
Nouvelle inspirée de la légende d'Imilchil. Partie 1.
Le jeune homme attendait derrière des rochers, c’était le milieu de l’après-midi et il avait chaud. Devant lui, le plateau s’étendait, rocailleux. La végétation y était rare en cette fin d’été.
Et puis, elle n’était jamais seule. Elle y venait accompagnée de sa meilleure amie, cela ne se faisait pas pour une jeune fille d’aller comme ça, seule, dans la palmeraie. Deux jeunes filles ensemble en papotant, macha mouchkil, ça pouvait passer.
Dihya et Izem. Partie 2.
Avertissement
J'avais imaginé une suite à cette histoire, suite reprenant d'autres histoires courtes regroupant les personnages de la diabolique Aïcha Kandicha, (Un cri dans la nuit, La belle et le randonneur, Le saunier et la sorcière), et de l'inspecteur Si Ahmed dont le personnage apparaît dans La Belle et le randonneur.
Je publie donc cette petite suite la demande de certaines personnes.
Une suite qui n'est toujours pas une fin...
Dihya et Izem
Tout en observant le nuage de poussière que soulevait une voiture qui se rapprochant sur la piste, Izem était en train de se réciter le poème amoureux qu’il avait composé pour Dihya :
…J’aime ta douceur
ton sourire et ta candeur
rien que du bonheur
sur ta peau être flâneur
te cueillir comme une fleur…
…tout en se disant qu’il fallait qu’il reste humble devant le bonheur qu’il vivait.
Humble ? Il l’était naturellement, comme les bergers nomades. Ne devaient-ils pas l’être dans ces montagnes souvent ingrates ? Même lorsqu’il regardait Tafsut, sa fille, son printemps comme ils l’avaient appelée malgré qu’elle soit née au milieu de l’été. Pour lui, elle était son printemps, celui d’une vie heureuse et il restait humble devant ce bonheur pour lequel il avait lutté tout en remerciant Dieu pour cette joie.
Souvent il se rappelait leur fuite bien avant qu’elle ne naisse. Avec Dihya, sa mère, ils avaient dû aller jusqu’à Imilchil pour s’unir. Son père et ses frères ne voulaient rien entendre de ce mariage avec un nomade. Avec l’aide de la police, Ils avaient cru les attraper sur le plateau, ils avaient oublié qu’Izem est un fils de la montagne.
Derrière leurs projecteurs, ils ne pouvaient rien voir de l’étroite ravine qui descendait sur le flanc de la falaise. Un long moment, ils avaient pensé que les jeunes gens avaient sauté sans un bruit.
Le temps qu’ils se rendent compte de leur erreur, Izem et Dihya, qu’il guidait entre les rochers, avaient emprunté la fine échancrure et ils eurent tôt fait de rejoindre un jeune cousin du garçon. Comme convenu celui-ci les attendait avec les mulets qu’il avait discrètement amenés en bas du plateau en fin d’après-midi.
Il leur avait fallu quatre nuits de marche difficile, à la lueur de la lune, pour arriver à Imilchil. La journée, ils se reposaient dans des grottes sommairement aménagées par le clan d’Izem pour leur servir de relais. Quatre jours durant lesquels ils avaient évités les villages et tant que faire se peut les routes. Sauf pour le haut col, le Tizi n’Tiherhouzine qu’ils avaient passé de nuit pour plus de sûreté. Et puis, ils y étaient presque, il leur restait à passer le village d’Agoudal, puis traverser la haute vallée jusqu’au village d’Aït Ameur, situé un peu avant Imilchil et où se déroulait le moussem de Souk el Am…Ce qu’ils firent sans encombre en suivant la route nouvellement goudronnée.
Arrivée à Imilchil, Dihya rayonnait malgré la fatigue du voyage, fière que son fiancé ait aussi bien organisé leur voyage. Il y avait foule dans la haute vallée d’Imilchil, cette grande foire attirait des gens de tout l’Atlas et au-delà.
Peu habitués à voir tant de monde, ils se faufilèrent discrètement entre les étals et les tentes dressées par des gargotes fumantes et odorantes. Ça sentait bon les grillades et les tajines, le thé à la chiba, l’absinthe, les épices, des senteurs connues mais en surabondance ici. Les jeunes cousins avaient déjà faim.
Les yeux de Dihya étaient partout, peu habitués à tant de déballages.
Photo Allal Fadili.
D’énormes couscoussiers côtoyaient des gamelles aussi énormes, des services à thé et des plateaux ouvragés, d’immenses batteries de casseroles. Des produits manufacturés et des contrefaçons à bon marché faisaient concurrence aux tenues et vêtements traditionnels au milieu. Les marchands de bijoux attiraient toutes les attentions, surtout féminine, ci et là ressortaient les arômes d’épices colorées, joliment montées en forme de cône et d’herbes parfois médicinales.
Un peu à l’écart sur une colline ronde, se tenait le marché aux bestiaux. Il y avait là des dromadaires, des mulets et des ânes, quelques chevaux barbes et surtout des chèvres et des moutons en grand nombre.
Demandant plusieurs fois leur direction, ils arrivèrent enfin à la grande tente caïdale décorée de vert et de rouge où se célébraient les mariages, enfin ils pourraient se choisir et commencer leur existence…accord familial ou pas. Tout autour, des bendirs et des darboukas assortis de ghaïtas rythmaient joyeusement l’entrée des prétendants aux fiançailles ou au mariage.
Ils rejoignirent chacun une cabine aménagée pour revêtir les beaux vêtements qu’ils avaient au préalable préparés chacun dans un sac qu’ils portaient en bandoulière. Lui dans une djellaba blanche, elle dans un beau kaftan qui appartenait à une cousine d’Izem.
La cérémonie collective démarrant, ils prirent place parmi les autres couples et prononcèrent leurs vœux. Muni de leurs papiers, chaque couple à son tour défila devant des adouls qui apposaient cachets et signatures sur des formulaires après vérification des identités. La dot offerte acceptée, l’approbation et les signatures des mariés et des témoins enregistrées, validées par un adoul, le mariage devint officiel.
Ne pouvant décemment s’embrasser en public, ils se regardèrent en souriant et se prirent la main en sortant. Il leur restait à accomplir ce qui était peut-être le plus important dans un mariage berbère : la fête sans laquelle la nuit de noce ne pouvait avoir lieu.
La leur, pour faire simple, aurait lieu au grand campement de la tribu. Des cadeaux seront offerts, les dattes et le verre de lait échangés entre les jeunes mariés, les bagues passées aux doigts.
Percussions et flûtes, chants et danses agrémenteront toute la nuit montagnarde. Au cœur de celle-ci, la fiancée, tislit, sera conduite en musique à la tente de son futur mari, qui sera surveillée par quatre matrones du camp, le linge blanc de la couche dûment contrôlé par elles…
Tafsut, comme son nom l’indiquait, était née le deuxième printemps après leur union. Encore bébé accroché au dos maternel, elle n’avait que quelques mois, elle n’en était pas moins vive et surtout souriante, déjà espiègle.
Souriain en lui-même à ces heureux souvenirs vit un drôle de bonhomme sortir en lissant ses moustaches de la voiture qui s’était arrêtée en contrebas. Il savait que le policier devait venir le voir mais pourquoi restait encore un mystère, enfin presque.
Il avait aussi entendu dire qu’il y quelques temps, un homme en proie aux démons avait chuté du haut d’un escarpement rocheux dominant la palmeraie près de Tinghir. Peut-être était-ce pour l’aroumi, l’étranger, qu’il avait récupéré errant dans la montagne et l’esprit plutôt perturbé.
Celui là était encore à son campement…
À suivre…
Le moussem des fiancés.
La légende d'Imilchil.
Se déroulant vers la fin septembre, le moussem d’Imilchil est une ancienne tradition très forte chez les berbères Aït Hadiddou. C’est un des moussem les plus connus du Maroc, autant pour son côté commercial que celui culturel qui lui vaut maintenant une reconnaissance internationale.
Le moussem était habituellement organisé sur trois jours. Le vendredi pour le commerce du bétail, le samedi pour celui des denrées de première nécessité tandis que le dimanche était dévolu aux chants et danses traditionnels. Malgré les difficultés routières de son accès, son importance commerciale pour le haut Atlas central a toujours généré une grande affluence à Imilchil.
Cette renommée y draine de nos jours de plus en plus de touristes désireux de découvrir autant le magnifique site d’Aït Ameur, où cet énorme rassemblement se déroule quelques kilomètres au sud d’Imilchil que cette non moins célèbre fête des fiancés et les valeurs propres aux impétueux Aït Hadiddous habitant la région.
Nul ne sait pas exactement à quand remonte cette légende qui nous raconte l’histoire, très romanesque, de deux amoureux qui eurent le malheur d’appartenir à deux tribus rivales chez les Aït Hadiddous, les Aït Yaaza et les Aït Ibrahim. Leurs rivalités étaient si grandes que devant cette union impossible nos deux tourtereaux versèrent tant de larmes qu’ils s’y noyèrent en créant les lacs jumeaux Tislit et Isli, la fiancée et le fiancé.
Les familles respectives, les tribus, pour que cela ne se renouvelle pas, firent de ce moussem un lieu pour que tous jeunes gens puissent unir leurs vies librement et ce, sans consentements familiaux.
Ce que l’on sait, c’est que cette manifestation est postérieure à l’arrivée des Aït Hadiddous dans la haute vallée d’Imilchil au XVIIème siècle.
Fixés dans les vallées du haut Dadès C’est après d’âpres combats contre les puissants Aït Atta du Jbel Sagho que les Aït Hadiddous obtinrent le droit de s’installer. Nomades parlant le tamazight, ils s’opposent durement aux puissants Aït Atta sédentarisés et parlant le techlaïd particulièrement pratiqué dans le haut Atlas central.
Ils s’allièrent dans ces combats à d’autres tribus de la confédération Yafelmane et finir par créer leur premier village, Agoudal pour certains, Akdim pour d’autres. Depuis, semi nomades, ces fiers et nobles montagnards connus pour leur générosité et la grâce de leurs femmes occupent un vaste territoire allant de l’assif Melloul et la N’Timili à Tounfit et jusqu’aux environs de Rich. Une aire territoriale ouest nord-est traversée par les routes 704 et 706, parsemée de ksour ayant des écoles coraniques et un fkhi, où les serments d’allégeance aux différents sultans ont été toujours renouvelés depuis le XVIIème.
Pour les Aït Hadidous, ce moussem était l’évènement majeur de l’année pastorale qu’il concluait en fin d’été. Ce moussem qui était l’occasion de se souhaiter une bonne récolte à venir, avait aussi une triple vocation : commerciale, sociale et religieuse.
C’est aussi le moussem qui donna son nom à ce bourg montagnard, Imilchil étymologiquement ‘’imi n lkil’’ signifie ‘’porte d’approvisionnement’’. D’autres la nomment ‘’Agdoud n’Oulmghani’’, en référence à un saint marabout dont la tombe est située là. Ou encore ‘’Souk Aame’’, le marché de l’année, car pour certains, la rigueur de l’hiver, les pistes en mauvais état et souvent enneigées en faisaient l’unique occasion d’échanges, d’approvisionnements et de rencontres.
L’unique occasion aussi pour officialiser des unions, des décès, des alliances. En effet sous le protectorat français, un officier enregistrait durant le moussem les actes d’état civil des unions célébrées ensuite dans des villages parfois lointains et à l’accès souvent difficile.
Durant plusieurs années un festival international musical et folklorique complétait agréablement ce grand rassemblement de la culture berbère traditionnelle des Aït Hadiddous , il a maintenant lieu à une date différente.
Date de dernière mise à jour : 22/09/2019
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