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Le marcheur

 

Le marcheur...
Nouvelle version.

À trop se laisser porter par le destin
Je marche dans les chaussures d’un mort
Mon pantalon
Je ne sais combien l’ont porté
Tellement il est rapiécé 
Il est devenu trop grand
À moins que moi je n’ai trop maigri.

Je marche dans les chaussures d’un mort
le dentier°
je n’ai pas osé
Pour mes fringues
C’est jantiya°
Le marché des frusques usagées
Les bons jours
Ceux de baraka°
S’tin rial°
Pourquoi s’en priver 
Pour la manche
jumaâ mubarak°
je tends mon écuelle en bois
pour quelques cuillères de ta’am°
après safi°

Je marche dans les chaussures d’un mort 
L’hiver la nuit tombe tôt
Le froid aussi
Une fois, elles m’ont traîné
Jusque sous le porche chaud d’un quartier rupin
Ils m’on viré
C’était même pas le matin
Ici, on n’aime pas les chiens
Ont-ils vociféré
J’aime pas les rupins
Je préfère les pauvres gens et les prolos
Eux savent partager
Même leurs nippes délavées
Et le reste d’un quignon de pain.

Je marche dans les chaussures d’un mort
À tinouitchi° 
Dès les beaux jours
Alors que le soleil enflamme l’océan
Elles me portent sur la lande
Loin en dehors de la ville
En bas l’océan
Je m’en lasse pas
le va-et-vient des rouleaux
Les jours de vents
Je cours dans les embruns
En riant comme un fou
À trop suivre les chemins du destin.
et quand le nuit tombe
je fais un feu
pour contempler les étoiles
puis j’allume mon sibsi°
 Il rougeoie dans l’obscurité
Douces volutes bleutées flottant dans l’air
Une douce ivresse me gagne
Je contemple les étoiles
Pour y perdre mes rêves
Peut-être
Sentir une belle harmonie
L’énergie de l’Univers
La beauté de la Nature
Dans le crépuscule
Je rêve une montagne
De hauts palmiers s’y balancent
Dans la douceur estivale d’un vent léger
 J’aime cette odeur de kif
Sa façon de m’investir
De calmer mes angoisses.
Il y a longtemps que je le côtoie
Des lustres à vrai dire
Tout joyeux compagnon qu’il est
J’aime qu’il me consume
Les nuits de pleine lune
Comme les nuits noires
De celles où l’esprit s’évade
Vers ces étoiles filantes
Qui parfois illuminent le firmament
Éphémères
Comme les espoirs.

Je marche dans les chaussures d’un mort
pour la dernière fois
le dernier coucher de soleil
et la dernière lune
un soir d’automne
de trop
peut-être
une grande ligne blanche
dans un billet tout chiffonné
le chant d’une kora dans le lointain
flotte aux confins de mon esprit
il se sent libre
libre et léger
flottant comme une feuille dans la bise
vers un nouvel ailleurs
mes yeux se tournent vers l’océan
une ultime fois
à trop vouloir arpenter
les chemins du destin.

 

© Robert-Haïtam Péaud
3 avril 2021.

Annotations: 

Dentier : il n’est pas rare de trouver des dentiers à vendre sur les étals de certaines places. Quant à la provenance…
Jantiya;
 marché de rue sur lequel se vend des fringues d’occasion achetées au kg, petit électroménager, etc…
S'tin rial: 60 rials, 3 dirhams. 1 dirham = 20 rials, environ 10 cts euros. Les berbères notamment comptent exclusivement en rial pour les achats quotidiens avant de passer aux centimes de dirhams pour des sommes plus importantes.

Jumaâ mubarak: bon vendredi, ce jour de grande prière étant de grandes promesses pour les mendiants demandant l'aumône (sadaqa).
Sibsi  : pipe au fourneau en terre cuite fixée sur un long et fin tuyau en bois utilisée notamment au Maroc pour fumer le kif, le cannabis local, mélangé à du tabac brun naturel en poudre.
Baraka : c’est fini.
Safi : c’est bon, ça suffit.
Ta’am : terme arabe utilisé par les Berbères pour désigner le couscous. Certaines personnes en confectionnent le vendredi pour l’offrir dans la rue aux passants (sadaqa).
Tinouitchi°
 : nom berbère de Maghrib, la prière se déroulant au coucher du soleil. C’est elle aussi, qui annonce la rupture du jeûne durant le mois de Ramadan.

 

Date de dernière mise à jour : 03/08/2021

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