Les plages d'El Jadida
Encore adolescente, la jeune femme-enfant laissait son esprit vagabonder sur l’océan qui déployait ses vagues au pied de la falaise sur laquelle elle faisait paître les quelques chèvres et moutons qu’elle avait en garde.
Au loin, très loin, là où l’après-midi le soleil allait se réfugier pour fuir la lune, elle savait qu’il y avait des terres merveilleuses. Elle le savait car un de ses amis bergers, pas plus âgé qu’elle, lui avait raconté. Un monde où des hommes, coiffés de plumes, montés sur des chevaux noir et blanc, chassent de gros bœufs énormes avec des arcs et des flèches en poussant de grands cris, comme les you-yous pour les fêtes d’ici. Il l’avait vu à la télé dans un film.
Un film…elle n’avait pas osé dire qu’elle n’en n’avait jamais vu un. Jusqu’à il y a peu, elle habitait avec sa mère et son frère dans une grotte surplombant la plage. Juste l’eau d’une source voisine, la télé… Ça aussi, elle ne le racontait jamais aux autres enfants qu’elle rencontrait au hasard des pas du troupeau. Il n’allait jamais au même endroit le troupeau…Et puis c’était avant.
Lorsqu’elle regardait l’océan ainsi, elle pensait à son père. Du moins, elle essayait de se l’imaginer, de se le rappeler sur sa grosse bouée. Pourtant, cet océan si propice aux rêves immenses lui avait pris cet homme qui la chérissait plus que tout. Ainée de deux enfants, elle avait quinze ans et il avait fondé l’espoir d’une vie meilleure pour elle, l’avait inscrite à l’école. Mais cela coûtait cher, alors il sortait tous les jours poussant sa frêle embarcation, parfois par mauvais temps, souvent seul comme ce jour fatidique, pour récolter des algues. Par manque d’argent, son père ne louait pas de barque à moteur munie d’un compresseur qui envoyait au plongeur de l’air vicié à l’aide d’antiques tuyaux à gaz.
Lui, il poussait péniblement une grosse chambre à air de camion dans les embruns et plongeait ainsi, avec des palmes, seulement vêtu d’une antique combinaison usée qui n’assurait plus vraiment de fonction protectrice, d’un masque plus vraiment étanche qui lui laissait les yeux rouges et brûlants et d’un vieux tuba.
Un travail dur et ingrat, ne rapportant que quelques dirhams par jour alors que les négociants avaient de belles voitures. Ils tiraient de gros bénéfices de l’agar-agar qui une fois collectée par ces forçats de l’Atlantique partait pour fabriquer des cosmétiques ou des médicaments, pour la pâtisserie des tables occidentales.
Il fallait être jeune, tout juste âgé de quarante ans son père l’était encore, pour plonger dans l’eau froide parfois jusqu’à une quinzaine de mètres de profondeur.
Le vent s’était levé durement, avait gonflé l’océan capricieux de grosses vagues. La bouée du père avait été durement drossée sur des écueils, mettant fin aux rêves d’école de sa fille. À marée basse, les alguiers du village avaient trouvé son corps déchiqueté parmi les rochers.
L’appel à la prière de la fin d’après-midi n’allait pas tarder à retentir, l’heure pour elle de préparer le repas pour son jeune mari. Elle regarda une dernière fois l’immensité océane dans laquelle le soleil allait bientôt se fondre.
Il fallait être jeune, tout juste âgé de quarante ans son père l’était encore, pour plonger dans l’eau froide parfois jusqu’à une quinzaine de mètres de profondeur.
Le vent s’était levé durement, avait gonflé l’océan capricieux de grosses vagues. La bouée du père avait été durement drossée sur des écueils, mettant fin aux rêves d’école de sa fille.
À marée basse, les alguiers du village avaient trouvé son corps déchiqueté parmi les rochers.
L’appel à la prière de la fin d’après-midi n’allait pas tarder à retentir, l’heure pour elle de préparer le repas pour son jeune mari. Elle regarda une dernière fois l’immensité océane dans laquelle le soleil allait bientôt se fondre.
Sa mère ne pouvant plus subvenir aux besoins de tous, elle faisait de temps à autres des petits ménages, quelques travaux des champs, avait réussi, pensait-elle, à trouver un bon parti pour sa fille.
Un jour, elle lui annonça son mariage avec le neveu de l’imam du village voisin. Malika n’aimait pas ce barbu arrogant et hypocrite qui tournait autour de sa mère à peine veuve, encore moins son neveu trop imbu de lui-même.
Un juge rendu complaisant par quelques centaines de dirhams passa sur sa minorité et l’a déclara apte au mariage. Après avoir officialisé cette union chez un adoul aussi complaisant et un furtif banquet sans you-yous à laquelle furent conviés un nombre restreint de membres des deux familles, Malika passa du statut de jeune fille à celui de femme. Son ventre lui faisait encore mal et ses lèvres débordaient toujours de dégoût.
Hassan, son jeune mari, était un vindicatif, toujours prêt à en découdre avec les ennemis de Dieu. Après avoir fait faire des passeports, il lui annonça un beau matin qu’ils allaient partir pour al machrek, à l’est, loin après le Sahara, pour combattre les mécréants et défendre les terres du Califat. N’y comprenant rien, elle fut néanmoins obligée de suivre son mari. Elle avait bien pensé fuir, mais pour aller où, seule, sans argent ni famille au loin ?
Elle ne sut jamais comment il s’était procuré l’argent pour le voyage, certainement ses amis de la mosquée, mais ils roulèrent des jours dans des camions fermés sur des pistes cahotantes, s’arrêtant seulement à la tombée de la nuit et avant le lever du jour pour prendre un repas frugal.
Un matin, le jour de leur arrivée dans une petite oasis dont les palmiers côtoyaient des dunes désertiques, Hassan, pensant pouvoir jouer de son autorité locale, crut bon de manifester bruyamment sa colère contre tant d’inconfort et d’irrespect alors qu’il avait déboursé une somme conséquente pour aller combattre au nom d’Allah.
D’une tente qui garnissait ces lieux que l’on aurait crus édéniques, un homme sortit et donna quelques ordres brefs, Hassan fut amené derrière les palmiers et abattu sans plus de discussions.
Assommée par le voyage et malgré tout par la mort brutale de son époux, Malika remarqua à peine le convoi de 4x4 qui sortit des dunes.
On l’a fit s’aligner avec ses compagnes et compagnons d’infortune, puis sortant des véhicules, des hommes et des femmes richement vêtus les inspectèrent un par un.
Un sordide marchandage commença. Malika sentit le sol se dérober sous elle lorsqu’elle réalisa ce que signifiait cette mise en scène de l’innommable.
Un vieux cheikh à l’air lubrique, aussi riche qu’arrogant l’acheta pour quelques centaines de dinars.
Menottée et apeurée, recroquevillée dans le pick-up de son ravisseur, Malika pleura en pensant qu’elle ne reverrait plus jamais les belles plages d’El Jadida.
Tinghir.
Novembre 2017.
Photo: http://eljadidascoop.com
Date de dernière mise à jour : 25/07/2019
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