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Hey Joe ! Mektoub

C’était un matin.
Un matin où l’automne invitait le soleil à jeter ses ors sur des feuillages commençant à jaunir en bordure de pinède, sur la salicorne rougissant outrageusement sur les vettes° des salines.
Même le chant matinal des oiseaux n’arrivait point à soulager sa peine.
Une tristesse qu’il trainait, comme un boulet dans le jour naissant.
La Bergeronnette°...
Un discret et sensuel parfum de santal…
Une fleur sauvage qu’il avait cru pouvoir cueillir.
 Un coup de foudre qui avait zébré son ciel d’éclairs éphémères.
Il émanait d’elle une odeur iodée, une senteur de violette, comme de la fleur de sel séchant au soleil du marais.
Le bruit régulier des rouleaux s’écrasant mollement sur la plage cachée par la pinède toute proche le tirèrent doucement de sa rêverie.
Elle était partie, seule, emportée par la Grande Épidémie. Emporté aussi, un lourd secret, trop lourd pour se battre.
Il s’en voulait de n’avoir pu faire davantage, écouter ses silences peut-être. Elle qui parlait si peu. Et encore moins d’elle-même. Une économe des mots. Secrète.
Sauf à parler du ciel et des étoiles, de son marais et de son potager, du vent qui va tourner lorsque la mer monte. La salicorne, verte et tendre, puis rouge vif et pleine de bois.
Là, elle était dans son élément, infatigable. La parole insatiable.
Triste et nostalgique, il regarda les lieux une dernière fois. Comme pour mieux s’en imprégner, ne jamais oublier, elle, ses rires, la cascade brune de ses cheveux.
Et puis, quelqu’un d’autre allait occuper ces lieux, reprendre la saline, la faire vivre comme elle vivait depuis des siècles, au fil  des printemps et des étés.

La porte de la petite calorge° de la Bergeronnette définitivement close pour lui, il alla s’assoir sur le bossis°, près du  mulon° bâché sur le tesselier° pour l’hiver. Le sel du marais, elle l’avait durement récolté avec tout l’amour et la passion qu’elle avait pour son travail.
Il alluma un joint en pensant que pour elle, il n’était pas question de travail, plutôt d’une complicité avec le vent, le soleil, la mer et la terre. Les éléments essentiels à ses yeux éclairés.
Il se recueillit un dernier instant, espérant qu’elle ait trouvé sa place parmi les étoiles, l’âme enfin apaisée.
Il devinait son visage dans cette fumée qu’elle aimait partager, dans le jour déclinant de la journée trop vite achevée pour apaiser l’amertume des souvenirs, des ombres se dessinaient, rehaussant la quiétude des lieux.
Couper le dernier cordon. Puis partir vers des rêves qu’ils auraient pu vivre ensemble. Peut-être.
Dans une autre vie.

 

Déjà, il imaginait, les hauts dattiers se dandinant doucement dans le vent, bientôt les dattes seront mûres. S’il ne trainait pas.
Le matin, les femmes guidant leurs ânes, le braiment intempestif, vers des parcelles de luzerne ou de maïs. Le dos courbé, faucille dentelée à la main, les épis de maïs sucré.
Un soleil écrasant dans le silence de l’adrar, montagne ocre majestueuse, et des vieux ksour en ruine qu’elle surplombait, les tours délabrées défiant les éléments.
Les murs ocre effondrés sous la rigueur du temps, les herbes folles sur les aires de battage et le vent qui murmure une histoire pour de vifs écureuils sautillant de pierres en rochers, vite dissimulés aux regards.
Il se rappelait l’appel du muezzin, juste avant le couchant, la beauté de la palmeraie et la rivière qui s’écoule, paisible sur un lit de galets blancs que son humeur, mauvaise parfois, surtout les jours d’orage, transportait au gré de son courant. Les berges garnies de roseaux, de hauts peupliers, de dattiers ou d’oliviers, sous lesquels, l’été, il fait bon de trouver de la fraicheur.
Laisser ses pensées s’échapper au fil de l’eau, sauter de galets en galets, sereines dans une liberté retrouvée.

Son triporteur l’attendait au bord du chemin, dûment révisé et remis en état par son pote ‘’Le Congolais°’’ qui, de plus, avait fourni une petite caisse à outils – « on sait jamais, avait-il rétorqué, j’te connais, toi et ta poisse ». Rien à répliquer.
Sauf mettre les gaz, cap plein sud, par delà la mer, prêt à affronter plusieurs centaines de kilomètres, rouflaquettes au vent et reggae dans les oreilles.
Vers d’autres cieux.
Mektoub.

Quelques annotations :
- Vette : fragile chemin en argile qui sépare les différentes aires du marais.
- La Bergeronnette, Le Congolais : lire Hey Joe ! (mars 2020), La Bergeronnette (avril 2020). 
- Bossis : bandes de terre surélevée séparant les salines.
- Mulon : terme désignant le tas de sel récolté et entreposé sur le marais.
- Tesselier : lieu central du marais sur lequel est porté et entreposé le sel récolté journellement et mis en tas pour former un mulon.
- Adrar : terme berbère pour désigner la montagne.

Mektoub
© Robert Haïtam Péaud
Septembre 2021

2017 02 18

 

Date de dernière mise à jour : 23/10/2021

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