Mektoub ! La Bergeronnette
Mektoub ! La Bergeronnette.
Île de Noirmoutier. France.
2032. Année 13 de la Grande Pandémie.
Un
matin
vint chanter
sur mon épaule
une grive qui destin me parlât.
C’était un matin.
Bien des années après le début de la pandémie qui avait fini par l’emporter.
Un matin où l’automne invitait le soleil à jeter ses ors sur des feuillages commençant à jaunir en bordure de pinède, sur la salicorne rougissant outrageusement sur les vettes° des salines.
Même le chant matinal des oiseaux n’arrivait point à soulager sa peine.
Une tristesse qu’il trainait, comme un boulet dans le jour naissant.
La Bergeronnette...
Un discret et sensuel parfum de santal…
Une fleur sauvage qu’il avait cru pouvoir cueillir.
Un coup de foudre qui avait zébré son ciel d’éclairs éphémères.
Il émanait d’elle une odeur iodée, une senteur de violette, comme de la fleur de sel séchant au soleil du marais.
Le bruit régulier des rouleaux s’écrasant mollement sur la plage cachée par la pinède toute proche, le tirèrent doucement de sa rêverie.
Elle était partie, seule, contaminée par un virus mutant de plus, douze ans après l’apparition de la pandémie, malgré les vaccins, les précautions élémentaires.
Emporté aussi, un lourd secret, trop lourd pour se battre.
Il s’en voulait de n’avoir pu faire davantage, écouter ses silences peut-être. Elle qui parlait si peu. Et encore moins d’elle-même. Une économe des mots. Secrète.
Sauf à parler du ciel et des étoiles, de son marais et de son potager, du vent qui va tourner lorsque la mer monte. La salicorne, verte et tendre, puis rouge vif et pleine de bois.
Là, elle était dans son élément, infatigable. La parole insatiable.
Triste et nostalgique, il regarda les lieux une ultime fois. Comme pour mieux s’en imprégner, ne jamais oublier, elle, ses rires, la cascade brune de ses cheveux.
Il espérait qu’un jour, peut-être, la pandémie permettrait enfin à quelqu’un d’occuper ces lieux, de reprendre la saline, la faire revivre comme elle vivait depuis des siècles, au fil des printemps et des étés. Après toutes ces années sans entretien, un énorme chantier l’attendrait pour remettre en route ce marais salant
La porte de la petite calorge° de la Bergeronnette définitivement close pour lui, Joe alla s’assoir sur le bossis° où autrefois il pouvait s’émerveiller devant c un mulon° blanc trônant sur le tesselier° désormais vide du sel qu’elle récoltait avec tout l’amour et la passion qu’elle mettait dans son travail.
Il alluma un joint en pensant que pour elle, il n’était pas question de travail, plutôt d’une complicité, d’une harmonie avec le vent, le soleil, la mer et la terre. Les éléments essentiels à ses yeux éclairés.
Il se recueillit un dernier instant, espérant qu’elle ait trouvé sa place parmi les étoiles, l’âme apaisée. Après toutes ces années où il venait raviver son souvenir, son pèlerinage à lui comme il disait, une voix intérieure lui chuchotait, il n’aurait su expliquer pourquoi malgré la certitude qu’il en avait, que ce serait la dernière fois qu’il viendrait sur ces lieux tant aimés.
Joe devinait encore son visage dans cette fumée qu’elle aimait partager, dans le jour déclinant d’une journée trop vite achevée pour apaiser l’amertume des souvenirs, des ombres se dessinaient, rehaussant la quiétude des lieux. Couper le dernier cordon. Puis partir vers des rêves qu’ils auraient pu vivre ensemble. Peut-être.
Dans une autre vie.
S’il n’y avait eu cette satanée pandémie, les masques et autres tests et passeports…
Depuis qu’elle s’était répandue comme une trainée de poudre, l’on ne comptait plus les vagues successives de contaminations, les pics d’alerte, les confinements obligatoires. L’immunité collective était devenue un mythe et vivre avec le virus une obligation. Peu à peu les économies périclitèrent et le chômage égala partout des records, le carburant devint rare, l’eau et l’électricité vinrent à manquer. La pauvreté était de mise et dans tous les sens du terme, les villes devenaient des jungles urbaines dans lesquelles des gangs, de plus en plus nombreux, se formaient et qui n’épargnaient pas les campagnes non plus.
- Hey Joe ! Vaut mieux déguerpir tant qu’il est encore temps, se dit-il à voix haute. Ça va pas être coton de se trouver du carburant pour Gaston. Gaston, c’était son fidèle triporteur, bâché d’un damier jaune et noir, il le transportait partout depuis des années, toujours rafistolé par son pote le Congolais qui le connaissait jusqu’au moindre écrou, comme toutes les bagnoles qu’il avait conduites dans sa jeunesse jusqu’en Afrique, ce qui lui avait valu ce surnom, car en fait, il était aussi blond que des épis de blés mûrs.
Mais, c’est loin le Sud, surtout le Grand Sud, et la mer à traverser. Le ciel s’assombrissait de plus en plus, rempli de gros nuages noirs inquiétants et le vent forçait dangereusement, un cyclone était annoncé. Si le pays était habitué aux tempêtes automnales, des ouragans de plus en plus dévastateurs ravageaient les côtes, et cela de plus en plus fréquemment depuis quelques années. L’île risquait un jour de disparaitre et le Marais Breton d’être noyé sous les eaux océanes.
Amer et songeur, rêveur malgré tout, Joe imaginait déjà… les hauts dattiers se dandinant doucement dans le vent, bientôt les dattes seront mûres. S’il ne trainait pas. Le matin, les femmes guidant leurs ânes, le braiment intempestif, vers des parcelles de luzerne ou de maïs. Le dos courbé, faucille dentelée à la main, les épis de maïs sucré.
Un soleil écrasant dans le silence de l’adrar, montagne ocre majestueuse, et des vieux ksour en ruine qu’elle surplombait, les tours délabrées défiant le temps et les éléments.
Les murs ocre effondrés sous la rigueur du temps, les herbes folles sur les aires de battage et le vent qui murmure une histoire pour de vifs écureuils sautillant de pierres en rochers, vite dissimulés aux regards.
Il se rappelait l’appel du muezzin, juste avant le couchant, la beauté de la palmeraie et la rivière qui s’écoule, paisible sur un lit de galets blancs que son humeur, mauvaise parfois, surtout les jours d’orage, transportait au gré de son courant. Les berges garnies de roseaux, de hauts peupliers, de dattiers ou d’oliviers, sous lesquels, l’été, il fait bon de trouver de la fraicheur.
Laisser ses pensées s’échapper au fil de l’eau, sauter de galets en galets, sereines dans une liberté retrouvée.
- Tiptiptip ! Tiptiptip ! Tiptip !
- Qu’est qu’il y a la grive ? Ben, voilà que j’parle à un oiseau maintenant, une grive ! Bergeronnette, mon Amour, sur ta tombe, juré craché, je ne fume plus un joint ni de bois plus de canettes et baraka les champignons ! Une grive ! Si le Congolais m’entendait…
- Tiptip, tiptip, tiptiptip !
- Quoi ? C’est pas là qu’il faut que j’aille ? Mais t’es qui toi d’abord, l’oiseau ? Et puis, pourquoi j’te parle, et j’te comprends en plus… J’deviens complètement barje.
- Tiptip, tip.
- Que j’te suive ? Sur la dune ! Je délire.
Tout essoufflé et ne se demandant même pas pourquoi il avait suivi l’oiseau, il contempla éberlué la noirceur du ciel, tellement sombre qu’il en paraissait diabolique, malfaisant.
- Il faut partir vite ? Le destin ? Là-bas, de l’autre côté de la Grande Eau, la Sylve ? T’es maboul mon oiseau, j’y vais comment dans ta forêt, à la nage ?
- Tiptiptip, tiptip, tiptiptip, tip !
- En bateau ! Sur le grand fleuve ! On m’attend !!!
Gaston le triporteur l’attendait au bord du chemin, dûment révisé et remis en état par son pote le Congolais qui, de plus, avait fourni une petite caisse à outils, mais pas de bidon… « On sait jamais, avait-il rétorqué, j’te connais, toi et ta poisse, ». Rien à répliquer.
Sauf mettre les gaz, rouflaquettes au vent et reggae dans les oreilles. Un dernier regard.
- Un bateau qui m’attend ! Et pourquoi j’y crois à cette histoire. Il m’a enjôminé° ce volatile de malheur.
illustration @Sara y Tzunki
Bien des années plus tard, perché sur une haute branche de la canopée, Joe admirait les magnifiques couleurs aux tons chamarrés que le soleil couchant offrait sur les cimes de la Grande Sylve. Les pépiements des oiseaux qui la peuplaient, aussi colorés que les lueurs vespérales, commencèrent à perdre de l’intensité à mesure que le ciel se parait d’étoiles scintillantes.
- Dis papa, tu me racontes l’histoire de ton départ de l’ancien monde avec le Vieux.
Sa fille était déjà couchée, presque assoupie sur le lit de feuillage qu’ils avaient confectionné plus tôt sur la plateforme de gué orientée au nord, vers le vaste désert qui étalait son aridité à quelques lieues de la lisière de la grande forêt. Kahina ressemblait étrangement à sa mère par le lien de communication qu’elle entretenait déjà avec les oiseaux. Tamlalt avait été une Ombre de la forêt, une caste de guerrière initiée aux secrets de la Sylve. De retour d’une mission de reconnaissance avec ses compagnes, elle se rendit chez Amessakul pour faire son rapport ; c’est là, accompagné du babillage joyeux d’une grive musicienne, qu’elle croisa le regard de Joe, qui, tout d’un coup, sentit la mélancolie qui l’habitait toujours s’effritait. Quelques lunes plus tard, Tamlalt rompit ses vœux de vierge guerrière sous le regard amusé du Vieux… et les joyeux trilles d’une vieille grive musicienne.
- D’accord, lui répondit Joe. Mais ensuite, tu t’endors, et toi Ayla, dit-il en s’adressant à la grive, arrête de lui babiller comme ça aux oreilles, elle est encore trop jeune pour être initier aux secrets…
- Tip tip, bon sang de saurait mentir, rétorqua-t-elle gaiment.
- Sur le port, tu sais, et bien il était vraiment grand temps que j’arrive, je n’avais pratiquement plus de carburant, les quais de Saint-Nazaire étaient déserts, ou presque. C’est alors que je le vis. Assis en tailleur sur un tas de ballots prêts à être chargés à bord d’un vieux rafiot amarré là, un vieil homme à l’allure bizarre semblait attendre quelque chose. Je stoppai mon engin à portée de voix tout en me demandant vraiment ce que je faisais là, tu sais.
- C’était le Vieux, dis ?
- Oui, bien sûr.
- Je t’attendais, me dit-il sobrement très sûr de lui en attrapant un étrange bâton orné d’une étrange pierre verte. Reste quelques paquets à charger, on peut embarquer ton triporteur, il est rigolo, ça te fera un souvenir de plus qu’il me lance en riant. Le pire, ou le mieux, dit-il à sa fille en essayant de ne point s’esclaffer, c’est que contre toute attente, je l’ai suivi.
Puis tout à coup, la grive, reprit-il tout sérieux.
- Tiptiptip !!!
- Salut ma sœur, lança le vieux marin même pas étonné à l’oiseau. Encore un de tes tours ?
- Tiptiptip tiptip ! Bien sûr, chanta-t-elle !
- Encore cette vielle histoire de destinée ? Pourquoi pas.
Les cieux se firent sombres et la mer très agitée lorsque nous fîmes voile, mais le rafiot semblait bien tenir la mer, continua-t-il. Accroché à un filin, les embruns me fouettant le visage, je regardais alors vers l’horizon.
- Et méfie-toi de la corneille, elle est frappée du sceau d’Iblis°. Et puis, ne regrette rien, les lieux que tu connais seront bientôt noyés. C’est ainsi que la grive me fit ainsi ses adieux.
- Mais l’on se reverra, avait-elle assurée.
Sous d’autres cieux.
Et maintenant, je suis là avec vous deux, avec nous tous, avec Ayla et le Vénérable Amessakul. Le début d’une lignée avait-il dit sans plus de précision. Pour la Grande Sylve et Pacha Mama.
Qui l’eût cru ?
Mektoub !
La Bergeronnette. Hey Joe ! Ep 2.
© Robert Haïtam Péaud.
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Date de dernière mise à jour : 18/01/2025
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