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Les boîtes magiques du Vieux.

 

Essaouira. Maghreb.
Année 13  de la Grande Pandémie.

 

« À trop se laisser porter par le destin, j’ai fini par marcher dans les chaussures d’un mort. Mon pantalon, tellement il est rapiécé que je ne sais combien l’ont porté. Il est devenu trop grand, à moins que moi, je n’ai trop maigri…

 Et puis,  un vendredi, il y a longtemps déjà, je ne sais plus, au début de ma déconfiture, une descente aux enfers. Jumaâ moubarak°, m’avait souhaité le barbu en accompagnant sa largesse de quelques pièces. Une paire de chaussures, celle d’un mort, raconta-t-il. Presque neuves et de bonne facture, du fait main, tout en cuir. De la part de la femme de mon ami décédé, compléta-t-il. Il me proposa également un dentier. Mais il me rappelait trop le rire d’un ami. Chokran bzef Sidi°, me respectueux remerciements à ta sœur. Je pris les chaussures et m’en allai. Quelle blague !»

Son public éclata de rire, malgré les contingences d’une épidémie qui n’en finissait plus, il semblait captivé par un récit qui lui faisait oublier un quotidien que les confinements successifs et une inhabituelle promiscuité avaient rendu désastreux, voir anxiogène pour de nombreuses personnes. Là comme ailleurs, les hôpitaux étaient saturés et les morts se comptaient par dizaines de milliers. Ne faisant aucune distinction de sexe, d’âge, de position sociale, ce qui était devenue rapidement une pandémie, s’attaquait à tous et les causes, pour l’heure, en demeuraient inconnues. Alors, les gens sortaient masqués, méfiants les uns des autres, s’attendant d’un moment à l’autre d’être une fois de plus confiné à domicile avec tous les travers psychologiques et matériels que cela suppose. À cela s’ajoutaient des dérèglements climatiques et les catastrophes naturelles en tout genre qu’ils engendraient, une véritable épée de Damoclès.  La Pacha Mama se meure pensa-t-il en lui même, et les mages de la Grande Sylve avaient de quoi s’inquiéter… 

Illustration : Marcel Busson (1913-2015).
 Marcel busson 1913 2016

« Le vendredi, je tends mon écuelle en bois, pour quelques cuillères d’un ta’am° partagé avec d’autres pauvres hères. Puis, je marche dans les chaussures du mort et l’hiver, la nuit tombe tôt, le froid aussi ; une fois, elles m’ont traîné jusque sous le porche chaud d’un quartier rupin. Ils m’ont viré les rupins, ce n’était même pas le matin. Ici, on ne veut pas d’un chien comme toi, ont-ils vociféré, poings levés et regards haineux.  En plus, tu n’as pas de masque, tu vas nous contaminer ! Décidément, je n’aime pas les rupins. Je préfère les pauvres gens, les prolos. Eux savent partager, même leurs nippes délavées et le reste d’un quignon de pain, un verre de thé… »

Son public éclata de rire, malgré les contingences d’une épidémie qui n’en finissait plus, il semblait captivé par un récit qui lui faisait oublier un quotidien que les confinements successifs et une inhabituelle promiscuité avaient rendu désastreux, voir anxiogène pour de nombreuses personnes. Là comme ailleurs, les hôpitaux étaient saturés et les morts se comptaient par dizaines de milliers. Ne faisant aucune distinction de sexe, d’âge, de position sociale, ce qui était devenue rapidement une pandémie, s’attaquait à tous et les causes, pour l’heure, en demeuraient inconnues. Alors, les gens sortaient masqués, méfiants les uns des autres, s’attendant d’un moment à l’autre d’être une fois de plus confiné à domicile avec tous les travers psychologiques et matériels que cela suppose. À cela s’ajoutaient des dérèglements climatiques et les catastrophes naturelles en tout genre qu’ils engendraient, une véritable épée de Damoclès.  La Pacha Mama se meure pensa-t-il en lui même, et les mages de la Grande Sylve avaient de quoi s’inquiéter…

« Le vendredi, je tends mon écuelle en bois, pour quelques cuillères d’un ta’am° partagé avec d’autres pauvres hères. Puis, je marche dans les chaussures du mort et l’hiver, la nuit tombe tôt, le froid aussi ; une fois, elles m’ont traîné jusque sous le porche chaud d’un quartier rupin. Ils m’ont viré les rupins, ce n’était même pas le matin. Ici, on ne veut pas d’un chien comme toi, ont-ils vociféré, poings levés et regards haineux.  En plus, tu n’as pas de masque, tu vas nous contaminer ! Décidément, je n’aime pas les rupins. Je préfère les pauvres gens, les prolos. Eux savent partager, même leurs nippes délavées et le reste d’un quignon de pain, un verre de thé… »

Le Vieux encaissa le choc aussi violent qu’inattendu de l’onde malfaisante qui lui traversa la  tête. Il ne pouvait voir d’où l’attaque provenait et la surprise lui coupa le souffle. Seul un réflexe rapide lui permit de fermer son esprit assez rapidement pour éviter le pire, à savoir être sous l’emprise d’un être maléfique, Sorcier ou Démon, au mieux tomber raide inanimé au milieu de son public.

  Pour la plupart des habitués de la place, masqués ou pas, il était le Vieux, conteur, oui, écrivain public aussi, et poète disait-on encore, Grand Mage, héritier des druides celtes, cela, personne ne le savait, pas plus que l’on savait d’où il venait et comme il avait un drôle d’accent, on le suspectait de tout et de rien. La police le contrôla une fois, puis le laissa tranquille en lui souhaitant bonne chance dans son entreprise et qu’Allah soit avec lui. Alors, rien à dire, les gens en restèrent pour leurs frais de curiosité et de questions, le regardant en coin, dubitatifs, comme si sa condition indiquait qu’il soit suspect. Les conteurs itinérants le sont forcément, de quoi, nul ne sait, mais c’est un fait avéré, pourtant, ils aimaient ses histoires…, et les boites qu’il exposait de temps à autres.

Certaines étaient magiques et sa préférée était sans conteste celle qu’il appelait la Boite à  souvenirs, tantôt, elle offrait les odeurs d’un soleil de plomb écrasant de sa chaleur une oasis en plein midi, des odeurs de menthe ou de cumin, le doux bruissement de l’eau s’écoulant de la source nourricière, le braiment des ânes et le rire des enfants les conduisant ; ou encore d’embruns iodés s’écrasant en rouleaux sur une plage d’où exhalait des odeurs de goémon. Alors, le vent mugissait dans sa tête noyant toutes autres perceptions, l’esprit lointain. Il l’avait acquise il y a si longtemps à un shaman débarquant d’une caravane qu’il ne s’en séparait jamais et ne l’aurait vendue pour rien au monde. La plus connue de son public, surtout des enfants, était sans conteste la Boîte à histoires, la boîte la plus magique du monde connu, aimait-il à dire. Ceux-ci l’adoraient ; non seulement elle était magnifiquement ouvragée, mais dès que l’un d’eux osait s’avancer pour la toucher en pensant à quelque chose, des lèvres du Vieux sortait une histoire, un conte, en relation avec le souhait du toucheur. Toujours est-il que boites et histoires, certes il aimait beaucoup cela, lui étaient bien utiles pour passer inaperçu à certains yeux, quoique ce soir, il dut convenir, que sa couverture ne couvrait plus grand-chose et que la sorcière l’avait certainement repérer. Qui d’autre, sinon ?

Boites magiques

« Dès les beaux jours, à Tinouitchi°, alors que le soleil enflamme l’océan, elles me portent sur la lande, loin en dehors de la ville, près de la plage. Je me perds dans le va-et-vient des rouleaux. Les jours de vents, je cours dans les embruns, riant comme un fou après les mouettes qui s’envolent.

Quand la nuit tombe, je fais un feu au creux d’un gros rocher, presque une grotte. C’est mon refuge, loin du bruit et des turpitudes de la vie. Alors que ma théière cabossée repose sur quelques braises, je sors ma pochette de kif et allume mon cebsi°.

Il rougeoie dans l’obscurité, douces volutes flottant dans l’air, une douce ivresse me gagne. J’aime cette odeur de kif, sa façon de m’investir, de calmer mes angoisses. Il fait partie de moi, il y a longtemps que je le côtoie, des lustres à vrai dire. Il est un joyeux compagnon et j’aime qu’il me consume. Les nuits de pleine lune, comme les nuits noires, de celles où l’esprit s’évade vers ces étoiles filantes qui parfois illuminent le firmament, éphémères, comme les espoirs… »

Il avait juste repris le cours de son histoire, que les premières grosses gouttes de l’orage s’écrasèrent sur le bitume surchauffé de la place, faisant apparaître  brièvement de petites volutes de fumée, comme pour mieux le refroidir. Anira Amessakul°, pour qui le connaissait bien, l’avait senti arriver. Sans aucun doute, un murmure d’automne qui s’esquissait à l’horizon. Le soleil s’enfuyait plus tôt que de coutume sous des éclairs zébrant un ciel indigo et la rue se vidait de gens trempés et pressés. Il savait lire dans le ciel et les nuages, et lorsque l’orage éclata, emportant loin un auditoire plein de promesses dans le crépuscule naissant, il rangea prestement ses boîtes dans la grande besace qui ne le quittait jamais et, empoignant fermement son vieux bâton noueux en scrutant attentivement l’obscurité, il courut se réfugier sous l’auvent d’une boutique pour se protéger de la pluie qui, sous l’effet d’un vent violent, tombait en bourrasques. Les ruelles étroites qui partaient de la petite place pour s’enfoncer dans la médina étaient maintenant désertes, seules quelques lumières et pancartes accrochées aux devantures rythmaient de leurs tintements grinçants les rafales qui les balayaient.

L’eau qui s’engouffrait sous son abri précaire avait détrempé son bonnet coloré et les longues mèches de cheveux qui en sortaient, le faisant frissonner d’une façon inhabituelle lorsqu’il sentit la présence d’un Sylphe° plus qu’il ne l’aperçut. Une lumière verte jaillit aussitôt de son bâton, mettant en fuite le djinn ailé qui s’envola d’un rire hystérique. Une aura maléfique s’insinua alors dans son esprit, comme pour le sonder, puis tout devint noir et il s’écroula.


Les rouleaux rugissaient sur l’estran,
Le soleil déjà noyé dans l’océan.
Une grande ligne blanche,
Dans un billet froissé,
Les notes d’un lotar°,
Rassurantes dans le lointain,
Flottent aux confins de mon esprit.
Maintenant, je me sens libre,
Libre et léger.
Comme une feuille dérivant au gré du vent,
Vers un nouvel ailleurs.
Des éclairs illuminent mon visage détrempé,
Noyé sous l’orage dégoulinant.
Alors mes yeux se tournent vers l’océan,
Une ultime fois.
Une voix qui m’appelle
Aguicheuse et perfide,
Démoniaque,
Une corneille sur l’épaule.
Dans les embruns,
Le rire des mouettes,
Moqueur.
Pour qui veut trop se jouer,
Des chemins du Destin.

Réalité ou rêve, il se sentit sortir d’un puits sans fond, grelottant sous la pluie qui lui fouettait le visage. Ce n’était pas un simple djinn qui avait failli l’anéantir, le laissant ne serait-ce qu’un court instant à moitié inconscient dans la tempête. Si ce démon avait été invoqué par Kandicha la Noire, il fallait qu’il se hâte de rejoindre la forge de son ami Moha et y détruire dans le feu le puissant artefact qu’il avait réussi à subtiliser dans l’antre de la sorcière en prenant bien des risques. Cet objet maléfique, imprégné de magie noire, s’il était maitrisé, pouvait décupler le pouvoir de son détenteur au-delà de toute imagination. Notamment celui d’invoquer le plus puissant des Démons, Iblis, l’Ange Déchu condamné aux Enfers. À moins que ce ne soit lui qui la manipule à son insu. Il n’osait en imaginer les conséquences… il fallait qu’il rejoigne la forge au plus vite.

Viking paint

Dans son délire, une corneille était assise sur l’épaule d’une sorcière qu’il ne put distinguer. Ce ne pouvait être qu’elle, Aïcha Kandicha, dont il narrait souvent les méfaits dans ce que les enfants pensaient être des contes. Dotée d’une beauté presque immatérielle, diabolique, on disait que dans sa jeunesse, elle qu’elle était tombée amoureuse d’un riche notable impressionné par sa grâce et son titre fallacieux de Comtesse Ibère. De réceptions en réceptions, elle s’aperçut rapidement du pouvoir qu’elle exerçait sur les hommes. Insatiable et avide de chair, la liste de ses conquêtes s’allongea tant que le prince la bannit.

Depuis devenue folle, elle errait en prenant l’apparence d’une femme aguichante revêtue d’une tunique diaphane dissimulant à peine son corps et ses pieds de dromadaire ; les nuits de pleine lune, accompagnée de djinns malfaisants et ricanant, elle s’attaquait aux voyageurs solitaires égarés sur les routes et les détournait de leurs épouses en les hypnotisant. Puis, perdus pour les hommes, tous sombraient dans cette  incommensurable folie qui alimentait  son âme diabolique. Et elle, entourée de ses djinns et démons favoris qu’elle avait fait venir  du Monde des Esprits, elle riait, riait, ses ricanements  se répercutant en échos dans l’immensité de sa grotte.

Courant presque sous le déluge, le Vieux essayait d’ignorer la voix malicieuse s’insinuant dans sa tête. Il eut conscience du Sylphe et des djinns à l’entrée de la ruelle en même temps qu’il distingua la lueur de la forge de son ami Moha. Le bruissement des ailes du Sylphe se fit plus oppressant, intensifiant la voix dans sa tête. Il se mit à courir, la besace alourdie dans l’effort par le poids de l’artefact qui devenait brûlant. Insidieux, des djinns minuscules, hauts d’une cinquantaine de centimètres, le firent trébucher à plusieurs reprises. Juste à l’entrée de la forge, le Sylphe essaya en vain de prendre le Vieux dans ses griffes, mais l’urgence et la peur d’être saisi par le démon décuplèrent sa volonté. Il s’arrêta et fit face au Sylphe, il n’en fallut pas plus à son bâton, Le démon s’enflamma en une torche nauséabonde alors que les djinns s’enfuyaient en hurlant, désorientés, sous les coups d’un marteau de forge que Moha, accouru en renfort, maniait avec la plus grande dextérité.

 Un intense cri d’horreur et de douleur se déchaina dans la tête d’Anira Amessakul qui tituba sous l’impact, lorsque l’artefact s’enflamma dans une explosion assourdissante. Puis tout s’apaisa, les étoiles brillèrent à nouveau dans un ciel lavé des orages et des malfaisances. Le vieux mage tirait une vielle flûte de sa besace pour entamer un air joyeux, imperturbable aux sons des sirènes qui se rapprochaient, lorsqu’une grive fit son entrée dans la forge, se posa sur une enclume et s’ébouriffa les plumes.

- Tiptip, tiptiptip ! Dépêche-toi Anira, le bateau n’attend que toi pour appareiller et le Conseil des Mages demande ta présence, ils ont été insistants.
- Je sais petite sœur, je sais.
- Petite sœur… Tu, tu parles aux oiseaux maintenant, affirmant davantage qu’il ne posait une question, Moha était aussi interloqué que son apprenti qui ne savait plus où se cacher.
- C'est-à-dire que cette Dame est un oiseau très spécial. Je dois te quitter, mon ami. Prends garde aux agissements de la sorcière et de ses espions. Méfie-toi des Barbus, soit ils œuvrent pour elle, soit directement pour Iblis.
- Ne t’inquiète pas Vénérable, on les tient à l’œil et je vais m’arranger avec les autorités pour ta petite explosion.
- As-salam aleïkoum, mon ami.
- Que la paix soit sur toi, Vénérable.
- Tiptip ! Vénérable ! J’en rirai presque si je le pouvais encore, tiptiptip, tiptip !

 

Les chroniques de la Grande Sylve.
© Robert Haïtam Péaud.

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 05/06/2025

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